Je trie mes propres textes

Publié le Catégorisé comme changer de vie Étiqueté
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"Design Patterns" by Samuel Zeller/ CC0 1.0

Quel étrange chantier ! Vous verriez la maison… Du désordre partout. Dans les petites et grandes étapes de mon changement de vie, j’ai commencé à regarder la tonne de souvenirs accumulés… même si j’en ai bien moins que d’autres grâce aux nombreux déménagements.

J’ai donc commencé à choisir ce que j’allais jeter. Je trie donc je suis ! Mais il fallait que je revienne aujourd’hui plus avant sur les poèmes et les chansons réunis depuis des dizaines d’années… Inutile d’accumuler surtout lorsque les textes n’en valent pas la peine ! Mais c’est souvent un dilemme de savoir ce qui mérite d’être conservé et ce qui doit rejoindre la poubelle !

Des poèmes partout !

Du papier. À la main, à la machine… parfois en double. Je m’y suis attaqué tôt ce matin.

Textes épars, textes en cahiers, textes en recueils imprimés, textes numériques enregistrés d’ailleurs sur divers supports… Disque dur, serveur, clé USB, sites Internet publics ou privés… D’un point de vue quantitatif, c’est assez effrayant.

Certains textes familiers, d’autres oubliés…

Si le papier jaunit parfois, on ne sait pas dire combien de temps tiendront les versions numériques… J’ai jeté un certain nombre de disquettes. Impossible de tout traiter techniquement… je ne vais pas passer mon temps là dedans. Quelle masse !

Se détacher pour juger

Je l’ai un peu évoqué hier : notamment avec la poésie quand elle joue quasiment le rôle de journal intime, retrouver un certain nombre de textes c’est plonger dans l’ambiance de l’époque avec ses bons et surtout ses mauvais souvenirs.

Certains textes réactivent des émotions et celles-ci empêchent alors de juger de leur intérêt pour un tiers qui tomberait dessus.

Jeter ses vieux vêtements

Jeter un vieux texte c’est un peu comme lorsqu’on trie ses vêtements : celui là est usé, mais on s’y sentait bien, cet autre évoque tant de souvenirs – mais il est troué -, celui là, on se demande comment on a pu oser l’acheter…

Comme la couleur délavée d’un vieux tee-shirt peut engendrer une douce nostalgie, la couleur d’un poème, un vers par ci ou par là, on trouve dans l’un une image jolie, l’autre renvoie à un épisode de la vie… mais un vers sur soixante c’est peu pour légitimer de conserver le texte surtout lorsque le rythme est mauvais, les formulations niaises ou maladroites…

Avec une vieille chemise on peut faire un chiffon, avec un vieux poème, on ne fait pas grand chose… ou alors il faudrait le temps d’artistiques collages…

Il n’empêche, on l’a aimé ce vieux vêtement qu’on a porté. Mais il ne vous va plus et il n’irait à personne. Ce n’est pas qu’une affaire de mode, mais d’usure, de déformation… Ne pas laisser de loques que les des héritiers pourraient trouver un peu gênés… ou dégoûtés…

Et j’ai trié, trié !

Très scolaire j’ai commencé par faire des tas de A à D puis « à jeter absolument ».

Si j’étais sévère C et D partiraient…

Les premiers me semblent avoir quelque chose, ils sont parfois assez classiques dans leur approche, plus aboutis… mais peut-être ne suis je pas assez sévère…

Les derniers peuvent être plaisants à lire mais restent de petits tableaux d’amateur qu’on peint le dimanche au fond du jardin… et qu’on garde chez soi.

Je n’ai pas versé une larme sur ceux que j’ai jetés. Au contraire.

Les gars des poubelles les ont renversé ce matin dans leur camion. Floc ! Vraoum ! On va se chauffer quelque part avec mes textes !

Je me suis même demandé : et si je devais en garder dix seulement, en garder cinq, n’en garder qu’un seul ? Ce serait lequel ?

Oh le bel orgueilleux qui rêverait ne laisser ne serait-ce qu’un vers dont la postérité se souviendrait !

Mais euh… beaucoup de mauvais quand même !

Sans coquetterie. Sincèrement. Comment se fait-il que personne ne soit venu me dire plus frontalement que certains textes non seulement ne valent pas tripette mais sont d’une naïveté confondante !

Parfois on voit un peu trop l’inspiration…

J’ai été amusé de découvrir que certains de ces textes ressemblent beaucoup à d’autres trouvés sous la plume de ma mère. Avec cette couleur mélancolique…

Et c’est seulement depuis quelques années qu’un ton plus personnel émerge.

J’ai jeté tout ce dont j’avais honte

Ces textes maladroits à mourir, à la syntaxe bancale, mais surtout ceux dont la naïveté était confondante. Entre la nostalgie mièvre et le désespoir amer, trouver sa voix apaisée… le cheminement n’est pas achevé !

Comme m’avait dit une voix cruelle : « Vous avez des facilités, mais pas de talent. »

Mais comme le chantait Anne Sylvestre – soyons pompeux un instant- souvent j’ai écrit « pour ne pas mourir ». Ce qui est différent d’écrire « pour vivre » et notamment en poésie…

« La mort n’a qu’une seule peur c’est que la vie la dévore » chantait Colette Magny !

Je me sens libre mais comme un débutant

Il y a dans cette histoire de tri et de textes qu’on élimine enfin quelque chose qui décape à l’intime. Mais on ne se sépare pas de soi. On se défait de reliques sentant le moisi, de squames, de champignons, de l’haleine du passé.

J’ai tendance à être trop lyrique. Cela peut aider à faire des chansons. Mais ce sous-bassement de tristesse qui pourrait pousser au suicide une armée de majorettes, il fallait l’expurger comme on sort de soi l’horrible, le pus d’une plaie, pour gagner la résilience et sa place, surtout ne pas s’y complaire, ne pas laisser les pieds y traîner.

Je me sens (mieux) libre mais comme un débutant. Avec la prudence, l’envie d’écrits taillés au silex d’une part et de chansons qui ne céderaient pas plus à la tristesse. Je veux dire de cette tristesse qui nous emprisonne, nous retient en arrière.

Un bon poème nous donne le goût de son ferment pour le maintenant, ce présent qu’il faut habiter pleinement et il nous donne de la joie pour la marche, il nous engage à marcher droit, devant, digne.  » je m’en allais les poings dans mes poches crevées… « 

On se fait des illusions

Mais on se fait des illusions. Les poèmes que j’aime parmi ceux que j’ai écrits ne seront pas forcément les préférés des lecteurs. Parfois je fus félicité pour des chansons ou des textes que je ne trouvais sincèrement ni formidables ni novateurs… jolis, convenus, ne perturbant personne…

Dans l’absolu, pas plus que je n’écoute mes chansons, je ne lis mes textes. Ce qui m’intéresse c’est d’écrire, pas de me lire.

Il faudrait presque pouvoir écrire et confier sans contrôle ses textes à la critique d’une personne de confiance, qui les conduirait ou pas au partage. Le travail des bons éditeurs autrefois.

Mais de nouveaux textes arrivent…

Et c’est sans fin. Je jette, mais voilà aussi que je continue d’écrire, de remplir, d’alimenter la rivière et de nouveau il faudra écoper…

Quelque chose échappe encore dans cette affaire où faut savoir parfois lâcher prise.

Ce qui est amusant, à ce moment de ma vie, c’est de me sentir au même tournant qu’à mes 17 ans quand bac en poche je passai mon premier concours, recevai mon premier salaire. J’allais de l’avant, résolument… à l’époque, il me semble, je m’étais défait déjà de beaucoup de choses…

Demain, il va falloir attaquer les photos, si j’ai le temps les papiers administratifs qui eux aussi racontent une histoire ! J’en ai pas terminé !

Vincent Breton devant le tableau de Marianne de Nayer la Cène
Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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