Le spectre de la censure

Publié le Catégorisé comme réflexions
rideau bleu
"Blue Pattern" by Kai%20Oberh%E4user/ CC0 1.0

Je m’étais bien amusé lorsqu’une courageuse anonyme (enfin je me base sur l’orthographe pour dire que c’était une fille) m’avait envoyé un message se disant « choquée » que mon dernier roman décrive des relations intimes entre jeunes du même sexe. « On ne devrait pas publier ça… ». J’ai répondu par une pirouette et j’ai effacé son message… Je ne suis pas assez célèbre pour que mes écrits intéressent quiconque. Je ne risque pas de faire le buzz. Mais écoutant les informations ces jours ci, je me disais que les tenants de la censure sont bien présents dans notre pays. Va falloir quand même faire gaffe !

Faire scandale pour rameuter la foule

Vous l’avez vue, cette députée ignorant tout de l’œuvre, ignorant sciemment le propos de l’artiste, sortir un tableau de son contexte pour hurler au scandale. On notera d’ailleurs que pour faire scandale, elle montre le dit tableau… Alors faut cacher ou pas ?

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées. » disait le Tartuffe, comble de l’hypocrite en louchant sur Dorine. Car de fait, qui a donc l’esprit mal tourné dans cette affaire ?

Et du coup un crétin est venu lancer sa peinture sur le tableau.

Ce genre d’épisode, – c’est dans la même veine, si si, – me rappelle ce garçon au collège – je vois encore sa bonne tête de macho- qui nous poursuivait avec un ami. Il hurlait. « Sales pédés, espèces de tapettes !… » Je vous passe la suite très fleurie de l’homophobe de service. C’était pénible à entendre. J’avais un peu peur qu’il veuille nous casser la gueule. Jusqu’au moment où l’œil avisé de mon ami Frédéric lui permit de répondre : « On est peut-être des pédés, mais c’est toi qui bande en attendant. « Et il avait raison. Pris au dépourvu, le gars repartit donc avec la honte de sa trique fort visible sous son survêtement.

Les censeurs, le scandale les fait bander. Ils s’en délectent.

Les censeurs « ne pensent qu’à ça ». Ils ne pensent qu’à ce qu’ils veulent dénoncer ! Ça les obsède comme un aveu.

Et je suis convaincu qu’ils veulent cacher ce qui dérange de peur qu’on découvre ce qui est en eux.

Le clergé nous en a montré la sinistre preuve lui si prompt à prêcher la morale du haut de sa chère chaire.

le prêtre en chaire un tableau ancien
« View of the Pulpit, Saint Sulpice, Paris (Second Project) » by Charles de Wailly, French, 1730–1798/ CC0 1.0

Mais on le sait depuis toujours, les censeurs aiment faire peur dans l’espoir que l’autocensure permettra au conformisme d’imposer sa vision. Ainsi on pourra faire taire la liberté sans difficulté.

A cette forme de censure s’ajoute celle par le flux de bêtise et de merde commerciale érigés en normes et déversés partout . C’est le goût du sucre que l’on apprend à nos pauvres cerveaux dans les fast-food pour créer une addiction et éloigner du goût de la cuisine riche, nuancée et généreuse, porteuse de poésie. Le fast-food, c’est rapide, facile, ça crée l’addiction, c’est uniformisé. Comme ce qui se déverse dans les grands médias lesquels iront même jusqu’à pervertir les meilleurs des artistes pour les stériliser et en faire des usines à produits standardisés et jetables.

Là dedans, difficile à la culture d’autant plus si elle est un rien subversive de se faire une petite place.

Les gens de pouvoir demandent allégeance aux cultureux

Le spectre de la censure trouve divers moyens plus ou moins pernicieux de s’exercer.

C’est ainsi que dans la région Auvergne-Rhône-Alpes on s’apprête avec de vieilles excuses qui tiennent mal la route à sabrer les budgets de tous ces organismes culturels qui ne viennent pas flatter l’égo du patron. L’affaire du TNG de Lyon est sur toutes les lèvres. Mais SceneWeb rappelle que le cas n’est pas isolé.

Ce n’est pas nouveau. Partout où le pouvoir politique veut imposer sa vision, il tend quand il ne parvient pas à promouvoir un « art officiel » à couper les ailes des artistes que ce soit en leur compliquant la vie, en réduisant les aides etc.

Ce mouvement réactionnaire est d’autant plus inquiétant lorsqu’il s’appuie sur le populisme et les réseaux sociaux, où l’on voit des gens qui ne vont ni dans les expos, ni au théâtre s’empresser de hurler contre ces « bobos » au service de la décadence…

« Je danse sur ma dissidence » chantait Anna Prucnal.

Allô les intellectuels ? les artistes connus ?

Je me demande s’ils sont tous morts ou s’ils font la sieste. Aujourd’hui l’air est pestilentiel. Le ressentiment de l’extrême droite a largement contaminé une part de la population, jusqu’au partis de la droite et du centre dits modérés, mais aussi à gauche où l’on est bien « pudique ». La peur domine.

On s’autorise des amalgames, des affirmations réductrices, l’ordre moral instille les esprits et le scandale vise aussi par le bruit qu’il fait à masquer les causes profondes des inégalités.

À l’heure du streaming et des réseaux sociaux, au moment où la culture devrait irradier jusqu’au moindre foyer, les gens n’accèdent qu’à peu de choses. Ce sont les mêmes « happy few » qui consomment 90% des livres ou de l’art vivant.. Les autres…

Quand un grand artiste comme Stromae touche la célébrité, il craque et annule ses tournées. Tout comme Adèle Haenel qui ne veut plus cautionner un système qui ment.

Il y a quelque chose qui sent le moisi et le pourri dans ce vieux monde… On croyait la liberté acquise. La guerre n’est pas loin mais d’aucuns vont préférer mettre des milliards dans les canons pour y plonger. Ça évite de se poser des questions…

Mais, bon, où sont-ils les intellectuels qui autrefois, même avec leur maladresse, montaient sur des caisses et manifestaient leur réprobation assez fort ?

J’aimerais bien des fois qu’on nous ressuscite Sartre et Duras même si j’étais l’un des premiers à me moquer d’eux.

Cabu reviens !

Car si je pense – partout dans le monde – à ces artistes que l’on censure, punit, emprisonne et tue… Je pense aussi à toutes celles et ceux qui s’autocensurent dans un monde où les coachs ne cessent de nous dire que nous devons avoir l’esprit positif et nous enrichir.

Car si je cite Cabu un peu plus haut, c’est que tous les censeurs, avec toutes les nuances que l’on voudra, font tous bien partie de la même sinistre famille des intégristes.

L’intégriste pétri de moraline se fout bien de la morale. Il érige des principes pour éviter que l’on pose des questions.

Ne jamais minimiser le fait qu’on s’en prend toujours d’abord à la culture

On le sait. Toute dérive totalitaire commence en s’en prenant d’abord à la culture, aux artistes qui « choquent », « provoquent », « questionnent » et viennent secouer nos convictions comme l’ordre établi.

Il faut plus que jamais défendre les artistes et leur droit au blasphème, à la subversion, à la provocation.

Non pas à sortir eux-mêmes de la Loi, mais ils doivent avoir le droit de tout dire, de tout faire dire aux personnages de leurs romans, de leurs pièces, de leurs films parce qu’alors ils nous permettent de disposer de miroirs, alors ils nous parlent de nous, de ce qui est beau en nous mais aussi de ce qui est insupportable en nous.

Si les artistes ne le font pas, alors l’oppression imposera son joug et nous seront des idiots morts, des zombies dans un monde piloté par l’intelligence artificielle où des princes débauchés se gaveront en nous méprisant…

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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