J’avais écrit une petite annonce dans le Sandwich de Libé

Publié le Catégorisé comme réflexions

En tombant sur les articles que publie le journal Libération à propos de ses 50 ans, celui-ci évoque la brève période où il publiait un encart appelé « Sandwich » . Il ne se mangeait pas mais le Sandwich de Libé proposait chaque samedi des petites annonces gratuites.

J’ai répondu à certaines annonces, mais surtout j’ai écrit une annonce. Elle me valut beaucoup de réponses et me fit découvrir des personnes extraordinaires. J’ouvre la boîte à souvenirs.

l'encart sandwich du journal libération

Des éléments de contexte…

Il n’y avait pas d’Internet – on en avait pas l’idée-, pas de portable, pas d’ordinateur…

J’étais un jeune élève instituteur, vivant dans la cambrousse, dans le Sud-Est et roulant en deux-chevaux. Je commençais à faire de la radio, c’était le début des radios libres… Je n’ai plus tout à fait la précision des dates et de la succession des évènements.

C’était à la fois une merveilleuse époque : j’entrais dans la vie, je gagnais ma vie… mais aussi douloureuse car ma mère fit une attaque et je me retrouvais à gérer beaucoup de choses à dix-huit ans…

Je lisais Libé qui restait un journal à part, mais pas tous les jours. Il fallait rouler 15 km pour le trouver… Je sais que j’ai répondu à quelques annonces, mais surtout j’en écrivis une…

Je ne me souviens pas précisément du texte…

Je n’ai pas retrouvé l’exemplaire du Sandwich avec mon annonce. La faute aux déménagements. Je me souviens que j’avais écrit un texte assez long qui pouvait s’adresser à la fois aux filles et aux garçons, qui se voulait certainement poétique, j’étais romantique…

Je ne me souviens pas précisément des dates. On était de toute façon dans un temps long entre celui de la publication, de l’attente des réponses et des correspondances qui s’ensuivirent. Vous savez mon goût pour la correspondance épistolaire.

Il s’agissait d’envoyer son texte et ses coordonnées, le journal publiait le texte puis regroupait les réponses qu’il recevait pour les faire suivre. Cela augmentait les délais mais faisait aussi que l’on recevait les réponses par paquets et il y en eut plusieurs…

Une soixantaine de réponses ?

Je pense avoir reçu plus d’une soixantaine de réponses. Certaines peu développées, d’autres au contraire particulièrement originales, certaines se poursuivirent par des correspondances longues et d’autres même par des rencontres.

J’ai gardé très peu de traces écrites, à cause des déménagements et aussi parce que la « force » de certains de ces écrits a pu susciter la jalousie des personnes qui vécurent avec moi. Mais les souvenirs sont vifs.

enveloppe

Les lettres bleues de Nathalie K.

Je n’ai pas retrouvé grand chose de ses lettres. Mais elles ont peut-être été rangées « à part ». Il faudra que je cherche mieux.

De Nathalie je me souviens les longues lettres sur papier bleu. Son écriture était fine, incisive.

Nathalie vivait dans une famille juive, se trouvait en rupture avec sa mère, son père travaillait dans une grande brasserie parisienne… Je l’appris plus tard. Nous avons correspondu longuement. Elle avait même glissé un jour dans l’une de ses lettres une boucle de ses cheveux roux, très fins.

Je ne sais pas si nous avions échangé la moindre photographie. Nathalie était d’une maturité incroyable mais plus jeune que moi. Je le compris plus tard. Nos échanges étaient sentimentaux, plein d’espoirs (et d’illusions sûrement)… J’ai tout de même traversé la France pour elle et en deux-chevaux ! Elle m’accueillit à Gentilly dans une maison de gardienne d’immeuble joliment aménagée par la professeure qui l’hébergeait. Je ne sais pas si elle était restée toute la journée à m’attendre, mais je la vois encore à mon arrivée : assise à la fenêtre, penchée en avant, sa longue chevelure rousse déployée.

Nous avons passé quelques jours ensemble sans même nous effleurer. Elle était formidable mais je compris aussi certaines choses lors de cette rencontre. Elle m’entraîna dans Paris dans sa recherche de logement. Visites de studios plus ou moins décatis. Comment une jeune fille de seize ans comptait-elle louer un appartement ? Souvenir incroyable aussi avec son père et sa sœur un soir. Cette dernière devait partir pour un voyage en Israël, rejoindre un kibboutz je crois… sauf que nous ne retrouvâmes pas dans le bon aéroport. Avion raté. On aurait pu faire un film de cette scène… Le père désemparé, débordé, se livrant beaucoup…

Elle est peut-être bien grand-mère Nathalie. Mais qu’elle était belle !

D’autres personnages incroyables !

Il y eut David A. On s’est rencontrés aussi et avons gardé le fil plusieurs années. Il m’écrivait des lettres à l’encre rouge. Lui encore à la graphie très fine, acérée mais avec un style et une écriture qui me firent penser que c’était un vieux monsieur de quatre-vingts ans… C’est un grand pianiste. Il vivait à l’époque dans un petit hôtel particulier, hébergé par une vieille dame que je ne vis jamais. Lorsqu’il vint dans le Sud-Est ma grand-mère le trouva charmant…

il y eut … un séminariste en partance pour Rome. Il doit être devenu évêque ou cardinal ! Il m’écrivait des lettres passionnées, débordantes et… pas très catholiques. Ce qui fit qu’un jour, je finis par lui écrire quelque chose comme… « tu dis que tu aimerais que l’on se baigne nus dans un torrent ici… mais enfin, si on se retrouve en érection face à face , comment vas tu faire ? (sous entendu par rapport à tes engagements religieux) ». Il me répondit qu’il prendrait cela comme un « cadeau de Dieu ».

Il y eut, Pierre-Edouard L. C’était un vrai littéraire, il m’écrivait de longues lettres en cachette. Je regrette d’ailleurs de ne l’avoir jamais rencontré. Je ne sais pas si nous ne nous étions pas parlé au téléphone…

extrait d'une lettre

Le correspondant mystère

Je n’ai jamais su vraiment qui était la personne qui m’écrivait en m’envoyant des photocopies d’œuvres d’art et surtout écrivait avec une graphie hyper expressive… Une femme ? Un homme ? Jeune ou plus âgé ? C’était étonnant car là aussi, de vrais échanges pouvaient avoir lieu avec une personne inconnue.

une lettre reçue

La lettre dans le roman

Une des réponses les plus originales, ce fut la lettre dans le roman. Ainsi, je reçus non une simple lettre mais un roman Archaos ou le jardin étincelant de Christiane Rochefort . Je vous en conseille la lecture ! Son univers en disait long sur l’époque que nous vivions et la personne qui m’écrivait… mais surtout il fallait l’ouvrir pour découvrir que Patrick V m’avait écrit tout au long des pages du roman et son texte se mêlait d’une certaine façon à celui de Christiane Rochefort. Une belle créativité !

Toute une époque

La fin des années 70 et le début des années 80… on va dire jusqu’en 82, portaient toute une ambiance souvent moquée aujourd’hui … On parlait déjà de « retour à la nature », de cultiver son jardin…

Il est faux de n’y voir que stupre et libération sexuelle.

Sûrement il y eut des errements, mais il y avait aussi une soif de découvrir l’autre, d’aller à la rencontre d’univers différents, une capacité à se confier par l’écrit puis lors de rencontres où l’on prenait le temps de s’intéresser à l’autre…

Aujourd’hui les applications de rencontres fondent l’échange sur l’apparence d’une ou plusieurs photos que le doigt fait glisser à gauche ou à droite pour marquer son intérêt ou son refus… plus difficile j’imagine de s’intéresser alors à l’univers de chacune ou chacun…

Je vois mine de rien que la période « Sandwich » a été pour le petit provincial une initiation intéressante…

à bientôt

Vincent Breton

Par Vincent Breton

Vincent Breton auteur ou écriveur de ce blogue, a exercé différentes fonctions au sein de l'école publique française. Il publie également de la fiction, de la poésie ou partage même des chansons !

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